Le secteur de la santé est un univers à part entière, complexe, mouvant et profondément humain. Manager dans ce domaine ne s’improvise pas : cela exige une posture de leader capable de conjuguer rigueur, adaptabilité, humanité et efficacité opérationnelle. Entre exigences institutionnelles, contraintes budgétaires, pénurie de professionnels qualifiés et attentes croissantes des patients, les défis sont nombreux. Comment manager avec succès dans ce secteur ? Quelles sont les stratégies et les bonnes pratiques à adopter ? Éléments de réponse de Sandrine Pierrat, cadre de santé et formatrice, spécialisée en management, gestion de la qualité et des risques.

Le rôle du manager, qu’il soit cadre de santé, cadre supérieur de santé ou directeur de soins, dépasse largement la seule gestion administrative ou organisationnelle. Il s’agit de fédérer les équipes autour d’objectifs communs, de garantir la qualité et la sécurité des soins tout en maintenant un climat de travail sain, respectueux et motivant.
Quelques chiffres clés
62 % des managers de santé disent manquer de temps pour l’accompagnement des équipes (FHF, Baromètre du management hospitalier, 2024)
1 soignant sur 3 souhaite plus de reconnaissance au quotidien (HAS, Enquête sur la qualité de vie au travail, 2024)
70 % des équipes ayant bénéficié d’un projet d’amélioration continue rapportent une meilleure cohésion (DREES, Rapport sur les dynamiques d’équipe dans les établissements de santé, 2024)
Créer un environnement de travail positif et collaboratif
Un environnement professionnel sain, coopératif et stimulant est la base de toute dynamique d’équipe efficace. C’est particulièrement le cas dans les établissements de santé où les tensions peuvent être fréquentes et la charge émotionnelle élevée.
Une communication transparente et ouverte
La qualité de la communication interne est un facteur déterminant dans la cohésion et la performance collective. La transparence, l’écoute active et le respect mutuel sont les piliers de cette communication.
Marie-Hélène, cadre de santé en soins médicaux et de réadaptation (SMR) :
« Instaurer des réunions hebdomadaires où chacun peut s’exprimer librement a transformé les relations dans l’équipe. Les soignants se sentent ainsi écoutés et considérés. »
Les réunions d’équipe ne doivent pas être de simples transmissions descendantes, mais un espace d’échanges, de régulation et de coconstruction.
Exemple de réunion d’équipe
Durée : 30 minutes
Fréquence : chaque jeudi à 13h30
Participants : cadre, infirmière diplômée d’État (IDE), aide-soignant (AS), rééducateurs, assistante sociale, psychologue, agents de services hospitaliers
Objectifs : faire circuler l’information, réguler les tensions, coordonner les actions, proposer des améliorations
Accueil par le cadre : rappel des règles (écoute active, pas d’interruption, respect des opinions)
Points positifs de la semaine écoulée
Suivi des actions décidées la semaine précédente
Retour sur les problèmes évoqués précédemment et vérification de leur résolution : par exemple, amélioration de la gestion des chariots de soins, mise à jour des plannings de kinésithérapie.
Exemples de sujets discutés parmi les thèmes à l’ordre du jour : organisation (par exemple, difficultés pour coordonner les horaires de rééducation avec les soins d’hygiène).
La reconnaissance
Valoriser les efforts et les réussites, est une source puissante de motivation et de fidélisation. Un simple merci, un feedback positif bien formulé ou une note de reconnaissance écrite ont en effet un impact bien plus profond qu’on ne l’imagine.
Lionel, directeur des soins :
« Féliciter un agent pour son implication lors d’une situation complexe renforce l’estime de l’agent et crée une dynamique collective. »
Exemple de feedback positif
Lors d’une semaine particulièrement chargée (2 absences non remplacées, plusieurs entrées en urgence), l’IDE de l’après-midi a spontanément réorganisé la planification des soins avec l’AS présente pour assurer les soins dans les temps, tout en maintenant la qualité des transmissions.
Feedback positif formulé par le cadre
« Je tiens à vous féliciter pour la manière dont vous avez géré la situation vendredi. Dès que vous avez appris les absences, vous avez vite revu les priorités, organisé la répartition des tâches avec votre binôme et prévenu l’équipe de nuit des changements. Grâce à votre organisation, tous les soins ont été réalisés dans les délais, et les transmissions étaient claires et précises. Ce type de réactivité et de coordination est précieux pour la qualité des soins et le bien-être de l’équipe. Continuez comme ça ! »
Ce que le manager a fait concrètement :
Observation directe : il a pris le temps de constater le comportement et ses effets.
Feedback immédiat : retour donné dès le lundi matin suivant, pour que l’action soit encore fraîche.
Structure claire : faits observés → impact positif → encouragement à poursuivre.
Formez-vous !
Vous souhaitez renforcer votre posture et votre communication managériale pour insuffler une dynamique d’équipe positive et atteindre vos objectifs avec succès ? Découvrez le programme de la formation Management d’équipe : les bonnes pratiques.
Les points clés :
- Identifier le style de management adapté à ses collaborateurs
- Activer les leviers de motivation
- Adapter sa communication aux situations et aux personnes
- Accompagner son équipe au quotidien
Exemples d’exercices pratiques :
- Formuler un feedback, adapter son style de management à une situation donnée
- Autodiagnostic pour découvrir son propre style de management
Lire aussi : Le feedback : un levier pour réussir son management
Gérer les conflits
Les tensions font partie de la vie d’équipe, surtout dans les structures où la pression est forte. Le rôle du manager est donc de prévenir, repérer et désamorcer les conflits, sans esquiver les problèmes.
Il ne s’agit pas de « faire la police », mais de poser un cadre clair et d’accompagner les acteurs vers une résolution constructive. Le manager peut s’appuyer sur des outils comme la médiation, l’analyse systémique ou les entretiens de recadrage bienveillants.
Quelques outils utiles
Médiation
Deux aides-soignantes ne se parlent plus depuis plusieurs semaines, suite à une dispute sur la répartition des toilettes. L’ambiance de l’équipe est tendue, les autres collègues commencent à prendre parti.
Action du cadre :
- Organise une rencontre en présence des deux soignantes, dans un espace neutre
- Établit des règles : écoute sans interruption, respect, pas d’accusations personnelles
- Invite chacune à expliquer son ressenti et sa perception des faits
- Reformule pour clarifier et identifier les points communs
- Conclut par un accord écrit : répartition claire des tâches et engagement à échanger directement en cas de problème
Résultat :
Les deux professionnelles se remettent à communiquer. Le conflit larvé est désamorcé, évitant ainsi une dégradation durable de la cohésion d’équipe.
Analyse systémique
Des tensions récurrentes apparaissent entre IDE et kinésithérapeutes sur les horaires de mobilisation des patients. Chaque profession accuse l’autre de ne pas respecter l’organisation.
Action du cadre :
- Ne cherche pas à désigner un « coupable » mais observe l’ensemble du fonctionnement
- Identifie que les plannings sont conçus séparément, sans coordination interservices
- Réunit les parties prenantes pour visualiser sur un tableau la répartition des interventions autour du patient
- Met en place un planning commun
Résultat :
La source structurelle du conflit (plannings cloisonnés) est supprimée. La relation IDE-kiné s’améliore car la cause est traitée à la racine.
Entretien de recadrage bienveillant
Un agent hôtelier s’adresse régulièrement de façon brusque aux patients, ce qui génère des plaintes.
Action du cadre :
- Convoque l’agent rapidement pour un entretien individuel, dans un climat calme
- Décrit précisément les faits observés (« Trois patients m’ont signalé un ton sec lors de la distribution des repas. »)
- Écoute la version de l’agent (stress, surcharge, manque de formation à la communication)
- Reformule pour valider la compréhension, puis rappelle les attentes professionnelles
- Propose un accompagnement (formation à l’accueil du patient + observation terrain)
- Fixe un suivi à 1 mois
Résultat :
Le comportement évolue positivement, l’agent se sent ainsi soutenu et non jugé, et les plaintes cessent.
Formation
Gérer les conflits dans le secteur santé et médico-social
De nombreux établissements de santé sont régulièrement confrontés à des conflits qui perturbent leur fonctionnement. Cette formation vise à outiller les cadres pour mieux prévenir et gérer ces situations, afin de préserver l’efficacité des équipes et la qualité de vie au travail.
Soutenir la montée en compétences des équipes
Les professionnels du soin ne cessent d’apprendre, car le secteur évolue à un rythme rapide. Le manager doit être moteur dans cette dynamique de développement continu, tant individuel que collectif.

La formation continue en lien avec les besoins du terrain
Proposer des formations pertinentes et adaptées aux besoins identifiés permet de maintenir un haut niveau de qualité des pratiques et de renforcer la professionnalisation.
Thématiques :
- Gériatrie : bientraitance, Alzheimer et démences apparentées, soins palliatifs et fin de vie
- Urgences : violences, communication
- Chirurgie : plaies et cicatrisation, matériel de mobilisation, douleur
- Pédiatrie : soins par le jeu, relation avec la famille
- Médecine : transmissions ciblées, accueil
Organiser des entretiens professionnels réguliers, recenser les attentes des agents et coconstruire des plans de formation sont autant de moyens de rendre la démarche vivante et efficace.
Cas pratique : recueil des besoins et proposition de formations
Étape 1 : préparation de l’entretien
Le manager prépare l’entretien en examinant les performances actuelles du professionnel de santé, ses antécédents de formation et les objectifs de l’unité ou du service. Il prépare également une liste de questions ouvertes pour guider la discussion.
Étape 2 : réalisation de l’entretien
Lors de l’entretien, le manager et le professionnel de santé discutent des points suivants :
- Bilan des compétences actuelles : quelles sont les compétences actuelles du professionnel et comment sont-elles utilisées dans son travail quotidien ?
- Attentes et aspirations : quels sont les objectifs de carrière du professionnel ? Quelles nouvelles compétences souhaite-t-il acquérir ?
- Identification des besoins : y a-t-il des domaines dans lesquels le professionnel se sent moins compétent ou souhaite se perfectionner ?
Exemple : le professionnel de santé peut avoir besoin de se perfectionner dans l’interprétation des ECG complexes en urgence. Ce besoin découle d’un stress ou d’un manque d’aisance et impacte directement la sécurité et la qualité des soins.
Étape 3 : coconstruction du plan de formation
Une fois le ou les besoins identifiés, le manager et l’agent explorent ensemble les solutions de développement possibles. Cette phase collaborative garantit ainsi l’adhésion du professionnel et la pertinence des actions.
Le plan peut mobiliser différents leviers :
- formations externes certifiantes : inscription à des stages spécialisés proposés par des organismes de formation reconnus (exemple : formation à la lecture avancée de l’ECG, formation à l’éducation thérapeutique du patient)
- formations internes, participation à des ateliers
- tutorat et mentorat : organisation d’un accompagnement par un pair plus expérimenté ou un référent dans un domaine spécifique pour un transfert de compétences pratiques
- autres modalités : participation à des colloques, congrès professionnels, ou encore inscription à un diplôme d’université (DU)
Le choix des actions se fait en fonction de la nature du besoin, du profil de l’agent, du calendrier du service et des ressources disponibles.
Étape 4 : planification et suivi
Le manager et le professionnel de santé conviennent d’un plan de formation, incluant les dates et les modalités de participation. Ils fixent également des points de suivi pour évaluer les progrès et ajuster le plan si nécessaire.
Étape 5 : évaluation post-formation
Après la formation, le manager et le professionnel de santé se rencontrent à nouveau pour évaluer l’efficacité de la formation et discuter des prochaines étapes. Cela peut inclure l’identification de besoins de formation supplémentaires ou l’ajustement des objectifs de carrière.
En suivant ces étapes, le processus d’entretien professionnel devient un outil dynamique pour le développement continu des compétences et la satisfaction des professionnels de santé.
Le tutorat des nouveaux professionnels, clé pour l’intégration et la transmission
L’arrivée d’un nouvel agent est une étape délicate. Un accompagnement structuré, via un tuteur formé et volontaire, permet une intégration plus fluide, réduit le stress initial et favorise la fidélisation.
Julie, cadre de santé en chirurgie orthopédique :
« Avoir une tutrice lors de mes premiers jours en tant qu’infirmière m’a permis de m’adapter rapidement et a été décisif pour que je reste dans ce service. Je fais aujourd’hui la même chose avec les nouveaux arrivants. »
Le tutorat aide également à développer des compétences en andragogie et à transmettre des connaissances aux nouveaux collègues, aux étudiants et aux élèves, ce qui renforce le sentiment de reconnaissance.
Définition de l’andragogie
C’est l’art et la science d’enseigner aux adultes, par opposition à la pédagogie, qui concerne plutôt l’enseignement aux enfants et adolescents.
Dans le contexte du tutorat en milieu de santé, l’andragogie repose sur un principe clé : l’adulte apprend différemment de l’enfant. Il arrive avec une expérience, des connaissances, des représentations du métier, et il attend que la formation soit directement utile à sa pratique professionnelle.
Dans un service hospitalier, un tuteur qui applique l’andragogie :
- Fait participer le nouvel arrivant ou l’étudiant aux soins dès que possible
- Relie les explications à des situations réelles vécues dans l’unité
- Valorise les savoirs que la personne possède déjà
- Utilise des feedback constructifs pour renforcer l’autonomie et la confiance
- Donne du sens aux procédures en expliquant leur impact concret sur le patient et l’équipe
La délégation constructive : responsabiliser sans se décharger
Déléguer, ce n’est pas simplement répartir les tâches, c’est faire grandir les personnes. Il ne s’agit pas de se désengager mais de soutenir, guider et valoriser les initiatives.
Agnès, cadre en unité de soins de longue durée (USLD) :
« Quand je confie une mission, je reste disponible, je clarifie les objectifs et j’accompagne. Cela responsabilise et dynamise l’équipe. »
Lire aussi : Déléguer et responsabiliser : les meilleures pratiques
Optimiser l’organisation et la gestion des ressources
Le manager est un acteur clé de la performance organisationnelle. Il doit savoir jongler avec des moyens limités tout en garantissant la qualité des prestations.
Gérer le temps et les priorités
Dans un secteur où les imprévus sont fréquents, planifier et prioriser sont des compétences cruciales. Utiliser des outils de gestion de projet, de planning collaboratif ou de visualisation permet ainsi de structurer l’activité.
Anne, cadre de santé en hospitalisation à domicile (HAD) :
« Grâce à un planificateur partagé, nous avons réduit les oublis, les doublons et les tensions liées aux imprévus. »
Assurer une transparence budgétaire
La transparence sur les moyens disponibles, les coûts et les arbitrages crée une dynamique de responsabilisation collective. Trop souvent perçue comme un tabou, la question budgétaire peut devenir un levier de mobilisation.
Aurélie, cadre en dialyse :
« En expliquant les contraintes budgétaires, j’ai pu impliquer les IDE dans l’optimisation des consommables. Résultat : une réduction des gaspillages. »
Exemples d’optimisation :
Filtres de dialyse : en faire usage jusqu’à leur capacité maximale
Solutions de dialyse : préparer la quantité nécessaire pour chaque session
Sacs de solution de dialyse : utiliser des systèmes de distribution
Gants stériles : formation avec une équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) pour le bon usage
Désinfectants : se servir des distributeurs appropriés
Bandages : utiliser des tailles adaptées pour réduire les chutes et les déchets
Compresses : calculer le nombre nécessaire avant le soin
Encourager l’innovation et l’amélioration continue
Les établissements de santé doivent innover pour s’adapter aux besoins, aux exigences réglementaires et aux évolutions technologiques. Le manager est ainsi le catalyseur de cette dynamique.
Encourager la créativité et la prise d’initiative
Favoriser un climat où les idées nouvelles sont accueillies positivement stimule la motivation et l’implication. Il peut s’agir de simples améliorations du quotidien ou bien de projets plus ambitieux.
Emma, cadre en pédiatrie :
« Nous avons mis en place un mur des réussites où sont affichés les témoignages des familles et les résultats positifs des soins. Cette initiative a renforcé le moral du personnel et créé un véritable esprit d’équipe. »
Un environnement où les idées sont les bienvenues, même les plus audacieuses, nourrit la créativité et développe l’autonomie.
Utiliser les données et les indicateurs de performance
Le pilotage par la donnée permet une gestion factuelle. Les indicateurs de qualité, de satisfaction, d’absentéisme ou d’incidents sont des outils précieux pour objectiver les constats et orienter les actions.
Michel, responsable qualité :
« Les taux de réclamations et les indicateurs de satisfaction nous permettent d’identifier les points de vigilance et de nous améliorer en continu. »
Accompagner le changement
Toute transformation (nouvel outil, réorganisation, nouveau protocole) doit être accompagnée pour être acceptée. Cela passe par l’information, la formation, le dialogue et la désignation de référents relais.
Le manager doit devenir facilitateur du changement et non porteur autoritaire.
Vers un leadership inspirant, incarné et durable
Manager dans le secteur de la santé, ce n’est pas seulement gérer des équipes et des plannings. C’est également incarner une vision, créer du lien, soutenir la qualité des soins et le bien-être des professionnels. Le manager doit savoir écouter, arbitrer, fédérer, protéger. Il doit aussi savoir dire non, poser un cadre et affirmer une ligne directrice claire.
Un leadership efficace dans ce secteur repose sur 4 piliers fondamentaux :
1. L’exemplarité : ne pas exiger ce que l’on n’incarne pas
2. L’empathie professionnelle : comprendre les émotions et besoins des équipes sans basculer dans l’affectif
3. La communication : développer une écoute active et bienveillante
4. La clarté : fixer des objectifs clairs
Gardez à l’esprit : votre impact ne se mesure pas uniquement à travers des indicateurs chiffrés, mais dans les regards confiants, les équipes soudées, et les soins délivrés dans la dignité et la bienveillance.
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Les points clés :
Savoir communiquer en cas de situation difficile
Développer sa posture de manager communicant
Optimiser la communication avec ses collaborateurs
Maîtriser la dimension émotionnelle de la communication managériale

