L’entretien professionnel annuel dans la fonction publique nécessite une posture adaptée et une vraie préparation. Ce rendez-vous réglementaire est désormais un outil central du management public, à la croisée des enjeux d’évaluation, de formation et de mobilité. Mais comment en faire un moment constructif pour tous ? Décryptage des règles, conseils pratiques et postures clés pour réussir cet entretien bilatéral avec Laurence Rochette, spécialiste en gestion des collectivités locales.
La réforme de l’entretien professionnel, au début des années 2000 et dans les 3 versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière), s’inscrit dans une volonté de modernisation de l’action publique. L’entretien professionnel s’impose comme un outil central au croisement de la gestion des ressources humaines et de la stratégie publique. Il remplace la traditionnelle notation par une démarche d’évaluation modernisée et professionnalisée. Alors que la notation s’inscrivait dans une logique de classement, l’entretien professionnel doit permettre une gestion individualisée des agents en lien avec les besoins évolutifs du service public.
L’entretien professionnel : quel cadre légal ?
L’entretien professionnel dans la fonction publique est entièrement cadré par les textes. Il s’impose donc à tous les employeurs publics.
Qui participe à l’entretien professionnel ?
L’entretien professionnel suppose un lien fonctionnel entre l’évaluateur et l’évalué. Le supérieur hiérarchique direct est celui qui organise, coordonne et contrôle le travail de l’agent. C’est donc lui qui est en charge de l’entretien professionnel.
L’entretien professionnel concerne les fonctionnaires, ainsi que certains contractuels.
À retenir : l’entretien est bilatéral.
Quand ?
L’entretien est annuel.
Sur quoi porte l’entretien professionnel ?
1/ Les résultats professionnels obtenus eu égard aux objectifs fixés en année N-1
Ainsi, le manager peut solliciter la réflexion de l’agent évalué par des questions ouvertes :
- Quel est votre avis sur l’atteinte de vos objectifs fixés l’année dernière ?
- Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
- Quelles compétences avez-vous mises en œuvre ?
2/ Les objectifs assignés pour l’année à venir
- D’après vous, que peut-on faire de mieux dans notre service rendu aux usagers ?
- Comment évaluer l’année prochaine notre service rendu à l’usager ?
- De quels moyens avez-vous besoin pour atteindre cet objectif ?
3/ La manière de servir de l’agent public
Par exemple, à un manager de proximité chargé de veiller à la santé et à la sécurité de son équipe : « S’agissant des règles d’hygiène et de sécurité, j’ai parfois l’impression que les agents ne portent pas leur équipement de protection individuelle. Sur le chantier de voirie lundi dernier, trois n’avaient pas leurs gants, ça m’inquiète. J’ai besoin de votre avis. »
4/ Les besoins en formation eu égard aux missions à remplir
- Dans quels domaines voudriez-vous progresser ?
- En tant qu’agent d’entretien des espaces verts, vous devez renouveler votre certificat Certiphyto pour pouvoir utiliser des produits phytosanitaires. Sa durée de 5 ans arrive à expiration, je vous inscris donc pour son renouvellement. Vous pouvez m’expliquer en quoi ce certificat a modifié votre manière de travailler ?
- Je vois que vous avez un bon contact avec vos collègues. Ce serait bien pour le service que vous soyez le référent en matière d’hygiène et sécurité. Comment envisagez-vous cette montée en compétences ?
5/ Les perspectives d’évolution professionnelle en termes de carrière et de mobilité
- Comment voyez-vous votre avenir professionnel ?
- Vous partez à la retraite dans 2 ans, comment vous percevez les 2 prochaines années ?
Les critères d’évaluation
Les critères d’évaluation varient selon le poste et l’employeur. Ils sont fixés par les instances représentatives des 3 versants de la fonction publique (CSA pour la FPE, CST pour la FPT, CSE pour la FPH).
Par exemple :
- La capacité à encadrer une équipe
- Les compétences techniques
- Le respect des règles d’hygiène et de sécurité
- Les qualités relationnelles
Glossaire
FPE : fonction publique de l’État
FPT : fonction publique territoriale
FPH : fonction publique hospitalière
CSA : comité social d’administration, instance représentative de la FPE
CST : comité social territorial, instance représentative de la FPT
CSE : comité social d’établissement, instance représentative de la FPH
Les comités sociaux, instances consultatives issues de la fusion des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), sont chargés de l’examen des questions collectives de travail ainsi que des conditions de travail au sein de la fonction publique. Ce sont les instances impliquées dans le dialogue social.
CAP : commission administrative paritaire, instance de représentation des agents fonctionnaires, consultée sur certaines décisions relatives à la situation et à la carrière individuelle des agents publics titulaires, c’est-à-dire les fonctionnaires
CCP : commission consultative paritaire, instance de représentation des agents contractuels de droit public, consultée sur certaines décisions relatives à la situation individuelle des agents contractuels
Où se déroule l’entretien professionnel ?
L’évaluateur choisit un lieu calme, neutre et confidentiel pour favoriser le dialogue.
Astuce : réservez une petite salle de réunion avec une table ronde.
« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. »
Victor Hugo
Comment ?
Avant
Il faut informer l’agent de ce rendez-vous au moins 8 jours avant sa tenue. La convocation doit comporter une trame vierge de l’entretien et la fiche de poste de l’agent évalué. Ce délai permet aux deux parties de préparer ce rendez-vous annuel.
💡 La fiche de poste est indispensable tant pour l’évaluateur que pour l’agent évalué. Elle permet en effet à chacun de savoir sur quelles bases va être menée l’évaluation.
Pendant
Il appartient au supérieur hiérarchique de mener l’entretien individuel en installant un climat de confiance.
Astuce : laissez votre ordinateur dans votre bureau et prenez feuille et stylo pour compléter le document. L’ordinateur ferait écran entre vous et l’agent évalué.
L’évaluateur rédige un compte rendu accompagné d’une appréciation générale.
💡 Vous ne devez porter aucune mention sur la situation individuelle de l’agent évalué (grossesse, maladie, handicap…).
Après
Dans les 15 jours qui suivent, l’évaluateur communique le compte rendu à l’agent évalué qui peut y apporter ses commentaires. L’autorité hiérarchique signe l’entretien complété, puis le verse au dossier individuel de l’agent.
Quelle est la valeur de la signature de l’évalué sur son entretien professionnel ?
La signature ne vaut pas accord comme dans un contrat. Elle indique simplement que le compte rendu de son entretien a été notifié à l’agent et qu’il en a pris connaissance. Elle permet par ailleurs à l’agent d’exercer ses droits à recours.
Quels sont les recours ?
L’entretien professionnel des agents publics : un outil stratégique de management à 3 dimensions
Extrait d’entretien : l’écoute au service du développement des agents
Agent évalué : Je suis sur ce poste de responsable des services techniques depuis 10 ans. J’ai fait le tour et je m’ennuie un peu au boulot.
Agent évaluateur : J’ai remarqué que tu as moins le sourire quand tu arrives le matin. J’ai vu aussi que tu arrives en retard au point quotidien. Que se passe-t-il ?
Agent évalué : Je ne sais pas, ça m’intéresse moins. Ce que je fais, je sais le faire même si je peux toujours m’améliorer. Je voudrais bien monter en compétences car je suis jeune et j’ai encore du temps à travailler. Mais je ne sais pas dans quoi. Toi, tu as une vue globale de la direction. Est-ce qu’il n’y aurait pas de nouvelles choses à développer ?
Agent évaluateur : Oui, tu as raison. Je discute, en ce moment, avec la directrice générale des services, à propos de la végétalisation des cours de récréation. C’est un enjeu important pour la commune : il y a eu des inondations, il faut aussi réduire la surchauffe urbaine… Ça te dirait de te pencher sur le sujet ?
Agent évalué : Plutôt oui ! Mais je n’y connais pas grand-chose. Je voudrais me former.
Agent évaluateur : Je vais solliciter le chargé de formation pour construire un parcours avec toi. Ça te va ?
Agent évalué : Super ! Là, j’ai envie.
Agent évaluateur : Je vois bien que tu as besoin de nouveautés pour t’impliquer au boulot. Alors on va faire un point à chaque entretien pour nourrir ta motivation. C’est rassurant pour moi aussi car ça veut dire que je peux m’appuyer sur toi.
Le point de vue de l’agent : « Ce que l’entretien professionnel m’a permis de clarifier. »
« J’avais le sentiment d’avoir fait le tour de mon poste et j’étais clairement démotivée. L’enthousiasme de mes débuts avait disparu. Je faisais ce que j’avais à faire mais je m’ennuyais. Mon manager l’avait peut-être remarqué mais la charge du quotidien ne nous a pas permis d’évoquer le sujet.
L’entretien professionnel a cet avantage de permettre de se poser. Alors, nous en avons parlé. Ou plutôt, j’en ai parlé. J’avais confiance en lui, en sa capacité à m’écouter. Ensemble, nous avons compris que j’avais besoin de nouvelles missions pour me remotiver. Nous avons donc élaboré un programme de formation pour que je monte en compétences sur un projet d’actualité : la végétalisation des cours de récréation. Je me suis réinvestie dans mon travail.
J’ai aussi réalisé que j’aurais sans doute besoin régulièrement de m’investir dans de nouveaux projets. Maintenant, je sais que l’entretien professionnel permet aussi de faire un point sur ma motivation. Autant l’utiliser ! »
[Lire aussi] Management : peut-il restaurer l’attractivité de la fonction publique ?
La fonction publique souffre d’un manque d’attractivité. Outre des difficultés de recrutement, elle peine à fidéliser. « Beaucoup de managers s’en vont. » Restaurer l’attractivité passe par une nécessaire transformation managériale. Mais, par où commencer ? Quelles sont les attentes des agents et des managers ? Quels outils et méthodes peuvent permettre de raviver l’engagement des agents ?
[Formation] L’entretien professionnel est un moment privilégié entre l’agent et son supérieur hiérarchique. Les enjeux sont multiples tant pour l’employeur public que pour l’agent. Ce rendez-vous doit donc être bien préparé et conduit avec méthode pour favoriser le dialogue.
Découvrez le programme des formations :
Points clés :
- Analyser le cadre juridique (spécificités FPE, FPT, FPH)
- Conduire l’entretien professionnel comme un acte de management et d’organisation des services
- Participer activement à l’entretien et faciliter l’expression de l’agent
- Exploiter les entretiens professionnels
Exemples d’exercices pratiques : construire des objectifs SMART, rédiger des appréciations générales, jeu de rôle pour chacune des étapes de l’entretien, rédiger un compte rendu.
Les éléments d’un entretien professionnel constructif
Une posture de l’évaluateur favorable aux échanges : un dialogue assertif
C’est au supérieur hiérarchique de donner le ton de l’entretien. Sa posture doit promouvoir le dialogue et la confiance. Cela passe par l’assertivité, l’intelligence émotionnelle et l’écoute.
L’assertivité : de quoi parle-t-on ? C’est la capacité à exprimer ses sentiments et à affirmer ses droits tout en respectant les sentiments et les droits des autres. Elle sous-tend plusieurs aptitudes.
[Formation] Assertivité et affirmation de soi
Daniel Goleman, psychologue américain, définit l’intelligence émotionnelle comme la capacité à « à percevoir, maîtriser et exprimer ses sentiments et ses émotions ainsi que ceux d’autrui ».
[Formation] Manager par l’intelligence émotionnelle
L’écoute est une compétence puissante car elle permet de favoriser un climat propice aux échanges et à l’expression des qualités interpersonnelles au sein des équipes. On distingue d’une part l’écoute empathique qui permet de se connecter à l’expérience de l’autre. Il ne s’agit pas seulement d’entendre les mots dits mais aussi d’identifier les émotions ressenties. Cela offre un espace sécurisé et sans jugement. D’autre part, l’écoute active consiste à questionner et reformuler afin de vérifier que l’on a bien compris le message formulé. C’est une écoute non directive qui permet au supérieur hiérarchique de créer un climat propice à l’expression de l’agent évalué.
L’entretien professionnel : une évaluation objective basée sur des faits
Distinguer les faits des opinions permet au supérieur hiérarchique de réaliser une évaluation objective loin de l’interprétation subjective afin d’éviter les confusions et erreurs de jugement.
Enfin, le supérieur hiérarchique doit adapter sa posture selon les sujets abordés : certains font l’objet d’une évaluation, d’autres d’un simple échange.
Pour conclure, l’entretien professionnel annuel est bien plus qu’une obligation réglementaire. Il constitue en effet un moment stratégique pour faire le point sur les missions, les compétences, les aspirations et les besoins de formation des agents. Préparé avec rigueur, conduit avec bienveillance et soutenu par une posture assertive, il peut renforcer l’engagement, améliorer la qualité du service public et nourrir une gestion des ressources humaines plus individualisée et plus dynamique. Mais pour qu’il tienne toutes ses promesses, encore faut-il y donner des suites à la hauteur des engagements pris (formation, mobilité…).
