Phénomène de plus en plus prégnant dans le monde du travail, le harcèlement moral fragilise la santé mentale des salariés, met en péril la cohésion des équipes et altère la performance de l’entreprise. Pourtant, l’inaction reste courante faute de repères clairs. Face à ce constat alarmant, les entreprises doivent adopter une stratégie globale, mêlant prévention et formation. Expert en risques psychosociaux et en santé au travail, Aldric Zemmouri expose un plan d’action concret pour répondre à cet enjeu majeur.

Harcèlement moral : définition
Le harcèlement moral au travail, classé par les experts des risques psychosociaux dans le champ des violences psychologiques au travail, se caractérise par des agissements répétés visant à dégrader les conditions de travail, atteignant ainsi la personnalité, la dignité et/ou la santé physique et mentale d’un salarié.
Ces situations sont bien souvent insidieuses. Elles peuvent naître de relations de travail dysfonctionnelles, de conflits mal gérés ou encore d’un management inadapté. Les conséquences sont graves. Non seulement pour les victimes : stress chronique, perte de confiance, isolement, voire dépression. Mais aussi pour l’entreprise : désengagement des équipes, augmentation de l’absentéisme et du turnover ou encore détérioration de l’image de l’entreprise.
Face à cette problématique, les entreprises ne peuvent plus se contenter d’une gestion réactive des crises. Une approche globale et proactive est essentielle pour prévenir ces comportements toxiques.
Pourtant, les données récentes montrent que le sujet reste mal maîtrisé sur le terrain. Selon le baromètre Ipsos x Qualisocial de 2022 :
- 74 % des salariés estiment que le harcèlement moral est un phénomène répandu
- 62 % perçoivent une augmentation des cas
- paradoxalement, 86 % se déclarent mal informés sur ce qu’il recouvre réellement
- 73 % éprouvent des difficultés à identifier des situations de harcèlement
Une stratégie de formation pour faire monter en compétences les acteurs clés
Ce double constat, augmentation des situations de harcèlement et méconnaissance du phénomène, appelle la majorité des employeurs à réagir. Pour autant, faire monter en compétences son collectif de travail sur ces questions n’est pas si simple. Il existe en effet de nombreux freins :
- la nature subjective et invisible des situations relationnelles dégradées
- un cadre juridique strict mais qui laisse une grande marge d’interprétation
- des résistances en interne car c’est un sujet anxiogène pour les salariés
- des difficultés à changer ses pratiques…
Autant d’obstacles qui nécessitent pour les employeurs de mettre en place une véritable stratégie de formation pour faire monter en compétences l’ensemble des acteurs clés dans la prise en charge de ces violences relationnelles.
Mais, pour être efficace, la formation doit s’inscrire dans un plan global de prévention du harcèlement moral. Ce plan articule trois niveaux d’actions :
1/ Le cadre d’action commun de l’entreprise
2/ L’accompagnement des managers
3/ La sensibilisation des collaborateurs
Un plan de prévention du harcèlement moral en 3 niveaux
1er niveau d’action : le cadre commun d’action de l’entreprise
Pour mettre en place une politique de prévention du harcèlement moral efficace, il est primordial de définir un cadre commun d’action clair et partagé par tous les professionnels impliqués dans le traitement de ces situations. Il s’agit d’abord de définir précisément le rôle de chacun. Puis d’élaborer des outils concrets : procédures de signalement et d’enquête, liste des personnes ressources ou encore circuit d’alerte.
Cependant, cette étape ne peut être mise en œuvre sans la formation préalable des acteurs clés :
- les ressources humaines (le DRH et ses équipes)
- les membres du comité social et économique (CSE) et/ou des membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT)
- la direction (membres des COMEX/CODIR) qui porte cette politique de prévention
En effet, ils vont devoir penser ensemble la mise en œuvre concrète de cette politique de prévention du harcèlement moral.
Cette étape de formation est d’autant plus nécessaire pour un employeur qui n’a jamais travaillé sur ces sujets et dont la culture de prévention est faible.
La formation préalable de ces acteurs leur permet notamment d’acquérir le même niveau d’information (sur le cadre légal, les recommandations, les pratiques reconnues…) et un langage commun. Prérequis indispensables pour construire un cadre d’action partagé.
[Se former]
Risques psychosociaux : mettre en place une démarche préventive
Points clés :
- comprendre les enjeux liés aux risques psychosociaux (RPS)
- identifier les principaux facteurs pour mettre en œuvre au sein de l’entreprise une démarche préventive du harcèlement moral, du stress, de burn-out et plus globalement de la souffrance au travail
Exemples d’exercices pratiques :
- étude d’un cas de harcèlement moral
- autodiagnostic des pratiques de management
- élaboration d’un plan de prévention pour l’entreprise
2ème niveau d’action : l’accompagnement des managers
Après la définition du cadre commun d’action vient l’étape de la transmission à l’ensemble des managers de l’entreprise.
En effet, les managers vont être les relais sur le terrain de la politique de prévention impulsée par la direction, les RH et les représentants du personnel.
Mais la mise en pratique de cette politique de prévention du harcèlement moral n’est pas si simple dans le quotidien. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la méconnaissance du phénomène de harcèlement moral complique son repérage précoce. Dans les faits, de nombreux signaux faibles (une mise à l’écart d’un membre de l’équipe, une répartition inéquitable du travail entre des collaborateurs, des conflits anciens non résolus, des rumeurs dénigrantes ou des quolibets sur une seule personne…) ne sont pas vus ou ne sont pas interprétés comme inquiétants. De plus, les problèmes relationnels entre collaborateurs sont souvent minimisés, laissant perdurer les situations. Et quand bien même les managers repèrent les situations problématiques, ils ne les signalent pas toujours ou alors bien trop tard, souvent faute de temps ou de compétences pour pouvoir investiguer plus avant des situations limites.
[Témoignage]
« Une enquête pour harcèlement moral a été ouverte dans mon service il y a peu de temps. Cela concernait un conflit plutôt ancien qu’un collègue entretenait avec une autre collaboratrice avec qui il travaille depuis 10 ans.
C’est vrai que j’ai dû intervenir de nombreuses fois ces dernières années entre eux, car ils sont censés travailler ensemble mais ils n’arrivent pas à s’organiser. Pour autant, je n’ai jamais soupçonné que ce conflit puisse dégénérer à ce point et qu’il puisse être aussi mal. Même s’il s’était isolé ces derniers temps, il faisait toujours son travail correctement… Je pensais qu’il avait des problèmes personnels et qu’il avait besoin de tranquillité.
Au final, c’est quand j’ai échangé avec lui lors de l’entretien annuel qu’il a craqué, parlant de suicide. Alors, j’ai commencé à creuser et à comprendre ce qu’il se passait vraiment entre eux. Au vu de son état et des faits rapportés, j’ai décidé de prévenir la RH car j’étais très inquiet. »
La formation des managers est donc indispensable pour que la politique de prévention du harcèlement moral prenne vie sur le terrain. C’est un temps privilégié pour leur permettre d’identifier les principaux freins qui font qu’ils n’alertent pas. Souvent, les échanges vont conduire à repréciser :
- le circuit d’alerte
- les informations essentielles à indiquer
- les documents à utiliser
- le vocabulaire à employer…
[Se former]
Prévenir le harcèlement et sensibiliser ses collaborateurs
4 points clés :
- Comprendre ce qu’est le harcèlement moral et sexuel
- Identifier les facteurs de risques favorisant ce type d’agissements
- Agir face à une situation de harcèlement
- Anticiper les risques grâce à un plan de prévention adapté
Exemple d’exercices pratiques : entraînement à la technique d’entretien pour vérifier les informations
Ils en parlent : « Contenu concret, c’est ce qu’il me manquait pour poursuivre le travail entamé dans l’entreprise. »
La formation renforce le manager dans sa posture de garant de la sécurité des collaborateurs et l’accompagne dans la gestion, au quotidien, des risques potentiels.
3ème niveau d’action : la sensibilisation des collaborateurs
Une fois le cadre commun d’action partagé avec les managers, l’entreprise peut enfin communiquer à l’ensemble des collaborateurs les principaux éléments de sa politique de prévention du harcèlement moral. Pour cela, elle doit mobiliser tous les canaux à sa disposition :
- présentation en CSE/CSSCT
- affichages réglementaires
- outils de communication interne (intranet, newsletter…)
- actions de sensibilisation directes (webinaire, atelier pratique, stand de prévention)
Exemple d’affiche annonçant un webinaire interne de sensibilisation :

C’est à ce moment que la formation auprès de l’ensemble des salariés prend tout son sens. Il s’agit le plus souvent d’ateliers de sensibilisation d’une demi-journée. Les objectifs ?
1/ Sensibiliser sur le phénomène en lui-même. Ce qui offre l’opportunité de clarifier la différence entre un conflit, un recadrage ou une situation de harcèlement moral. C’est en effet un questionnement fréquent des collaborateurs.
[Témoignage]
« J’ai participé la semaine dernière à un atelier de sensibilisation sur la prévention du harcèlement moral au travail. Je n’étais pas très chaud au début car je trouve qu’on entend ce terme tout le temps dans les bureaux et c’est un peu n’importe quoi. Mais l’atelier était très intéressant et j’ai appris plein de choses !
D’abord, j’ai réalisé que le harcèlement moral ce n’est pas un conflit. Il y a des critères assez spécifiques pour pouvoir parler de harcèlement. On a examiné plusieurs situations très concrètes pour essayer de déterminer si ça pourrait être du harcèlement moral. Ce qui m’a le plus surpris dans les exemples donnés, c’est la variété des moyens pour un auteur d’agresser sa victime, avec des techniques parfois proches de la cour d’école. Par exemple : je t’ignore, je te coupe la parole, je me moque de toi… Et ça se répète au quotidien. C’est usant pour la victime et elle finit par craquer.
L’autre chose qui m’a marqué dans cet atelier, c’est que l’auteur du harcèlement n’est pas toujours un monstre. Et la victime n’est pas toujours un ange non plus ! On peut tous être potentiellement en situation d’être un auteur de harcèlement moral, suivant le contexte de travail, parfois sans s’en rendre compte ! J’ai beaucoup aimé cette déconstruction qui permet de ne pas s’enfermer dans des stéréotypes et de mieux comprendre comment le harcèlement moral marche vraiment. Ça permet de mieux repérer des situations tendues avant qu’elles n’aillent trop loin. Finalement, c’est mieux pour tout le monde puisque ça permet de maintenir une bonne ambiance de travail. »
2/ Présenter ou rappeler la politique de l’employeur : circuit d’alerte, procédure d’enquête et prise en charge des victimes.
Les nombreux échanges avec les salariés lors des ateliers permettent ainsi de s’assurer que le message de prévention est bien intégré et que les outils proposés sont opérationnels.
Pour résumer, prévenir le harcèlement moral exige un engagement fort et une stratégie structurée, impliquant tous les acteurs de l’entreprise. Formation, sensibilisation et cadre clair sont les piliers d’une culture où chacun sait repérer, signaler et agir. En plus d’assurer la conformité légale, c’est un levier essentiel pour le bien-être et la performance collective. Ainsi, au-delà du harcèlement moral, la question ne serait-elle pas plus globale ou comment instaurer une culture d’entreprise fondée sur le respect, l’écoute et la prévention des conflits ?