Longtemps cantonnée aux sphères de la production, des achats ou des RH, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’invite désormais dans les équipes commerciales. Sobriété énergétique, critères RSE dans les appels d’offres – notamment publics –, attentes accrues des parties prenantes, montée en puissance des entreprises à mission… La fonction commerciale doit, elle aussi, prendre le virage de la durabilité. Alors, quels nouveaux leviers activer pour vendre mieux, de façon plus responsable ? Comment concilier performance, impact et cohérence dans les pratiques commerciales ? Décryptage des enjeux et des meilleures pratiques avec Bénédicte Serradeil, experte en accompagnement RSE et décarbonation des entreprises.

Définition de la RSE
La RSE désigne l’ensemble des pratiques mises en place par les entreprises pour intégrer les enjeux sociaux, environnementaux et éthiques dans leurs activités et leurs relations avec les parties prenantes (clients, salariés, fournisseurs…).
Concrètement, cela signifie agir de façon plus durable et responsable, au-delà des seules obligations légales, en conciliant performance économique, respect de l’environnement et progrès social.
Fini le temps où l’on mesurait la performance commerciale à coups de volumes vendus et de croissance à tout prix. Aujourd’hui, vendre « mieux » supplante le « toujours plus ». Une révolution douce, mais profonde, qui bouscule les pratiques. Cette révolution redéfinit les ressorts du métier de commercial autour de l’utilité, de la responsabilité, et de la cohérence.
Intégrer de nouvelles méthodes de travail
Le cadre réglementaire incite de plus en plus à repenser les pratiques commerciales, dans une logique de sobriété et de transparence. L’époque où l’on enchaînait les rendez-vous à l’autre bout de la région sans se poser de questions semble bien loin.
Aujourd’hui, des réglementations comme la loi « climat et résilience » (2021) encouragent la réduction des déplacements et la promotion de solutions plus durables. De même, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), en vigueur depuis 2024, impose aux grandes entreprises de rendre compte de leurs impacts sociaux et environnementaux, influençant directement les appels d’offres et les argumentaires commerciaux. De plus, la directive européenne sur les achats publics responsables pousse les acheteurs à intégrer des critères RSE dans leurs consultations. Autant d’évolutions qui transforment en profondeur le métier de commercial.
Par ailleurs, la généralisation du remote selling (vente à distance, par visioconférence ou téléphone) a changé les usages. Ce qui était une contrainte conjoncturelle s’est mué en bonne pratique structurelle : premier rendez-vous en visio par défaut, suivi client à distance, outils collaboratifs comme les dossiers partagés, Klaxoon, Mural, Miro…
Ainsi, aujourd’hui, plus de 62 % des commerciaux B to B déclarent préférer un premier contact en visio (étude McKinsey, 2023). Cela permet non seulement de réduire les déplacements, mais aussi de gagner 15 à 20 % de temps productif (étude HubSpot, 2022).
Par ailleurs, certaines entreprises repensent complètement les tournées commerciales : mutualisation des déplacements, usage accru du train, géoplanification, voire évaluation de la pertinence carbone avant chaque déplacement.
La relation commerciale devient plus agile, tout en réduisant l’empreinte carbone.
Non seulement c’est bon pour la planète, mais cela libère aussi du temps, de l’énergie, et parfois même… du chiffre !
Témoignage
Julien, ingénieur commercial dans une ETI industrielle (secteur B to B)
« Avant, je faisais plus de 50 000 km par an en voiture pour aller voir mes clients, souvent pour des rendez-vous de 45 minutes. C’était épuisant, chronophage et pas toujours très efficace.
Depuis deux ans, on a complètement revu notre façon de faire. Le premier contact se fait systématiquement en visio. Ça nous permet de qualifier le besoin rapidement, d’impliquer parfois plusieurs interlocuteurs côté client, et de décider ensuite si ce besoin vaut la peine de se déplacer.
Résultat : j’ai réduit mes trajets de 40 %, je passe plus de temps sur les dossiers complexes… et mes clients trouvent ça plus fluide.
Franchement, je ne reviendrai pas en arrière. C’est plus cohérent avec notre démarche RSE, mais aussi avec ma qualité de vie au travail. »
Adapter son offre commerciale
Les acheteurs – publics comme privés — exigent de plus en plus de cohérence entre les engagements RSE affichés et les offres proposées. En 2024, près de 70 % des appels d’offres publics comportaient des critères RSE significatifs (Observatoire des achats responsables).
Les entreprises s’adaptent et repensent ainsi leur offre pour y intégrer des critères environnementaux et sociaux.
Critères environnementaux | Critères sociaux |
Écoconception des produits | Conditions de fabrication |
Réduction de l’empreinte carbone | Origine des matières premières |
Transparence des chaînes d’approvisionnement | Emploi local, insertion, diversité |
Réparabilité, reprise, réemploi | |
Gestion des déchets |
Une offre responsable est devenue un levier de différenciation commerciale.
Exemple :
Decathlon, en s’appuyant sur l’indice de réparabilité conçu par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), a mis en place sa propre grille d’évaluation du potentiel réparable de ses produits. Pour chaque catégorie d’articles, un produit est ainsi considéré comme réparable s’il répond à plusieurs critères clés :
• une documentation technique accessible à l’utilisateur ou au réparateur
• la disponibilité des pièces détachées
• une facilité de démontage sans endommagement
• un coût de réparation inférieur à 30 % du prix d’achat
Dans ce nouveau cadre, le discours commercial évolue profondément. La logique du « toujours plus » n’a plus lieu d’être : place à la pertinence, à la personnalisation et surtout à la cohérence.
La RSE impose aussi plus de transparence, d’éthique et de respect du client.
Il ne s’agit plus simplement de vendre un produit ou un service, mais de répondre à un besoin en lien avec les enjeux RSE du client. Cela suppose de bien comprendre ses objectifs en matière de sobriété, d’impact ou de circularité, pour proposer une offre vraiment sur mesure.
Le terrain de jeu des commerciaux glisse ainsi de la promotion à la contribution. Il faut savoir parler utilité, sens, impact, analyse du cycle de vie… Un discours trop générique, une promesse mal ficelée, et c’est la disqualification assurée.
Repenser les leviers d’incitations
Vendre responsable, c’est aussi manager autrement. Selon une enquête BVA (2023), 82 % des commerciaux souhaitent que leur entreprise intègre des objectifs de sens et d’impact dans l’évaluation de leur performance.
On voit ainsi émerger de nouvelles pratiques managériales, plus alignées avec les valeurs de la RSE et les attentes des collaborateurs.
Les objectifs sont coconstruits, avec une attention portée à leur sens et à leur contribution aux enjeux environnementaux ou sociétaux de l’entreprise. Les commerciaux bénéficient ainsi d’une autonomie accrue dans l’organisation de leur activité, favorisant la responsabilisation et l’agilité.
Sur le terrain, les initiatives individuelles ou collectives des commerciaux sont valorisées par les managers, qu’il s’agisse de proposer une offre à moindre impact, d’optimiser un déplacement ou de coconstruire une solution client.
Les revues de performance deviennent collaboratives, intégrant des critères qualitatifs (fidélisation, pertinence de l’offre, impact environnemental du cycle de vente) et favorisant une logique de coopération plutôt que de compétition.
L’un des grands chantiers consiste donc à redéfinir les chartes commerciales, former à la vente responsable, et réinventer les objectifs et les modes de reconnaissance, autour de nouveaux indicateurs :
- réduction des émissions de CO₂ liées aux déplacements
- fidélisation ou satisfaction client
- capacité à faire émerger des solutions à faible impact
- intégration des critères RSE dans les évaluations annuelles des commerciaux
Exemple de charte commerciale :
Nos engagements pour une relation commerciale responsable
1. Transparence et sincérité
- Présenter de manière honnête les bénéfices de nos offres, notamment en matière environnementale
- Bannir tout discours trompeur ou approximatif (greenwashing…)
2. Sobriété dans nos pratiques
- Privilégier les rendez-vous en visio en phase de prospection
- Limiter les déplacements à fort impact (avion, voiture longue distance) au strict nécessaire
- Organiser les tournées commerciales selon des critères de proximité et d’impact carbone
3. Écoute active et coconstruction
- Adapter nos propositions aux enjeux RSE spécifiques de nos clients
- Proposer des solutions sur mesure intégrant performance et impact positif
- Favoriser les offres écoconçues, réparables, recyclables ou mutualisables
4. Inclusion et accessibilité
- Veiller à des pratiques commerciales respectueuses et non discriminantes
- S’assurer que nos supports et nos interactions soient compréhensibles et accessibles à tous
5. Engagement continu
- Former nos équipes commerciales aux enjeux environnementaux et sociaux
- Intégrer des indicateurs RSE dans l’évaluation de la performance commerciale
- Impliquer les commerciaux dans les actions RSE de l’entreprise (ateliers, initiatives locales)
Cette charte est communiquée à nos clients et partenaires et fait l’objet d’un engagement individuel de chaque membre de notre force de vente.
Il ne s’agit plus seulement de récompenser les top vendeurs, mais aussi ceux qui savent vendre mieux, plus juste, plus durable.
Même les challenges commerciaux évoluent : événements festifs plus sobres et locaux, avec une vraie cohérence RSE.
Exemple 1 : des objectifs commerciaux élargis au-delà du chiffre d’affaires
Dans certaines entreprises industrielles ou de services, les managers commerciaux intègrent désormais des indicateurs qualitatifs dans les objectifs des équipes :
- taux de satisfaction client
- impact environnemental des ventes (ex. : pourcentage de produits écoconçus vendus)
- nombre d’offres coconstruites avec le client autour de solutions durables
- participation à des actions internes (ateliers RSE, groupes de travail sobriété, etc.)
Résultat : les commerciaux se sentent reconnus pour autre chose que la pure performance financière, ce qui renforce leur engagement et leur adhésion aux démarches RSE de l’entreprise.
Exemple 2 : des incentives revus pour être plus sobres et plus vertueux
Oubliez les week-ends à Dubaï ou les coffrets high-tech hors de prix.
Certaines entreprises proposent désormais des récompenses plus responsables :
- séjours d’écotourisme ou solidaires
- challenges d’équipe autour d’un projet à impact (boisement, restauration de biodiversité locale…)
- dotation à des associations choisies par les commerciaux eux-mêmes en cas d’atteinte des objectifs
Et pour garder la convivialité : des événements internes moins carbonés mais tout aussi fédérateurs (séminaire accessible en train, cuisine locale, activités de pleine nature, etc.).
Tirer bénéfice de la gouvernance RSE
Évidemment, cette transformation demande des investissements : en temps, en formation et en outils.
Formations
Pour sensibiliser vos équipes aux enjeux de la RSE : Transition écologique et RSE
Pour savoir comment structurer une démarche RSE dans votre stratégie commerciale : Mettre en œuvre une démarche RSE
Lire aussi : La RSE, une opportunité de changement au profit de votre entreprise
À moyen terme, les bénéfices sont bien réels.
Une politique RSE assumée et bien portée devient un puissant levier de différenciation commerciale.

- Intégrer une politique RSE permet de répondre plus efficacement à des appels d’offres où les critères sociaux et environnementaux prennent de plus en plus de poids, notamment dans le secteur public, mais aussi chez les grands donneurs d’ordre privés.
- Cela ouvre la porte à de nouveaux marchés : offre à impact, offre circulaire, services de conseil associés…
Exemples
Offre à impact : un imprimeur se spécialise dans les impressions « zéro plastique » et encres végétales, ciblant les marques engagées et les événements écoresponsables.
Offre circulaire : une société de BTP développe la récupération et la réutilisation de matériaux de chantier (portes, radiateurs, pavés), vendus à prix réduit aux artisans et particuliers.
Services de conseil associés : un fournisseur d’équipements industriels inclut dans son offre un audit énergétique gratuit et des recommandations pour optimiser l’usage de ses machines.
- Une politique RSE peut générer des économies opérationnelles dans les pratiques commerciales : moins de déplacements, moins de gaspillage, moins de stress pour les équipes.
- Elle renforce aussi l’image de marque et la marque employeur, tout en consolidant le lien avec les parties prenantes : les clients, les partenaires… Une entreprise qui prône la sobriété, la cohérence et l’engagement favorise des relations plus équilibrées avec les clients, des collaborateurs plus engagés, une confiance accrue de la part des partenaires et des talents … et, au final, une performance plus durable.

En résumé, la RSE, qu’est-ce que c’est pour un commercial ?
- Vendre autrement : des produits ou services plus durables, utiles et cohérents avec les attentes clients.
- Travailler autrement : limiter les déplacements inutiles, favoriser la coopération, adopter une posture de conseil.
- Se différencier : répondre aux appels d’offres exigeants, renforcer la relation client grâce à des valeurs partagées.
La RSE ne freine pas la performance commerciale, elle l’oriente dans la bonne direction.
La transformation est en marche, mais encore inégale. Le défi reste de taille : faire évoluer les mentalités sans désengager les équipes, démontrer que la sobriété commerciale peut aussi être source de différenciation… et intégrer la RSE dans le quotidien sans en faire un fardeau administratif.
Mais les pionniers tracent déjà la voie. Une voie plus sobre, plus lucide et peut-être plus désirable : celle d’une fonction commerciale alignée avec les enjeux de son époque.